Andrea Dawson [ fiche en cours]

Le sommeil est un puissant libérateur. Futile, immuable, il peut être source d’ennuis pour certains, pour d’autres, il n’est que survie… pour Evaëlle, la nuit et l’heure du coucher est signe de liberté tant espérée. La fuite vers un monde parallèle où tout est beau, tout est simple. C’est le seul moment où les plus beaux rêves deviennent une courte réalité et où les cauchemars s’estompent et s’oublient dès qu’on ouvre les yeux. Le sommeil est le symbole des désirs profonds qui peuvent s’assouvir durant cette seule période de sérénité.

La vie de la jeune muette n’a jamais été de tout repos. Depuis sa tendre enfance, elle avait appris à s’allier à Morphée afin de s’échapper de tout ce qu’elle pouvait subir. C’est dans les bras de cet enfant du sommeil qu’elle fuyait sa sœur, l’hôpital, les infinis traitements anti-psychotiques… D’ailleurs, ses parents se plaisaient à l’appeler « La marmotte », un nom qu’elle n’avait jamais vraiment apprécié.
Quoi qu’il en soit, en ce moment précis, Evaëlle s’était une fois de plus évadée vers les limbes bienfaitrices du sommeil. La chaleur étouffante et l’allure un peu crade de l’endroit était secondaire. Elle savait que derrière la porte, il y avait quelqu’un qui était là pour elle. Il ne la connaissait pas, il ne lui devait rien et pourtant, il restait près d’elle pour la veiller. Malgré leurs liens récents, Eva était convaincue qu’il plongerait si elle venait à couler. C’était ironique à quel point le destin pouvait se jouer de l’existence de certaines personnes. Pourtant, c’était cette certitude inaltérable qui lui avait permit de fermer les yeux en toute confiance, bien installée au creux de la chaleur du manteau. Malgré tous les désagréments, ce court répit était plus réparateur que toutes les nuits qu’elle avait passé ces trois dernières années. C’était si calme… si paisible… elle était si bien au creux de cette veste. Si…

EVAELLE DOE EST PRIEE DE SE REVEILLER POUR PRENDRE SA DOUCHE!

Le tremblement de terre! Tout le cadre de porte raisonna de convulsions retentissantes. Une voix autoritaire ordonnait le réveil avec une impatience digne des grands maîtres. La douce Evaëlle se réveilla en sursaut, paniquée par ce ton qu’elle ne connaissait pas. Où était passé l’homme doux d’il y a à peine une heure.

Furieuse d’avoir été tiré si brutalement de son sommeil, elle ouvrit la porte en coup de vent, cherchant le coupable de cet affront. De ses yeux verts, légèrement cachés par une chevelue ébouriffée, elle le fusilla du regard, se fichant éperdument qu’il ne la voyait pas. Si ces émeraudes pouvaient tuer, tu serais déjà enterré mon cher. N’as-tu jamais appris qu’il fallait réveiller les femmes en douceur?
D’une moue renfrognée, la muette serra le blouson contre elle. N’essaie pas lui enlever ce blouson ou elle risque de devenir méchante. Elle le garde maintenant, peu importe ton humeur. Tu n’oserais pas lui enlever… si?
Les deux êtres se confrontaient dans un silence pesant. La jeune femme n’allait certainement pas laisser passer cet excès de colère. Non mais! Qui plus est, elle était très bien là où elle était!

Sale fasciste es-tu…

Dans un soupir long et bruyant qui en signifiait long, elle fit volte-face et claqua la porte pour retourner dans la salle de bain. Elle fit couler l’eau de la douche et y pénétra, après avoir accroché la veste contre le crochet de la porte.
L’eau chaude dénouait ses muscles endoloris et le savon sur sa peau donnait un effet divinement apaisant. Dans un esprit de contradiction, la jumelle prit tout son temps, étirant le moment sous l’eau chaude afin de faire patienter l’inconnu qui avait osé interrompre son sommeil. Au bout d’une demi-heure, elle éteignit le jet, qui commençait d’ailleurs à devenir froid, et s’essuya rapidement avant de revêtir l’éternel manteau de cuir.
Elle ouvrit finalement la porte, toujours avec son plus bel air ignorant et alla s’asseoir sur le lit, des dizaines de gouttelettes glissant de ses cheveux mouillés pour atterrir un peu partout, sans oublier sur le corps allongé du bel inconnu. Pourquoi ne veux-tu pas dormir toi non plus? Es-tu de cette peuplade nocturne qui préfère fêter la nuit et dormir le jour? N’as-tu pas conscience de tout ce que tu manques, loin des rayons du soleil? Tu as la chance d’en profiter en toute liberté… ne rates pas cette occasion.

Lentement, presqu’avec appréhension, Evaëlle tendit sa main droite vers l’homme impatient. Ce geste pouvait paraître étrange, mais quand on regardait ce que la jeune femme fixait, le geste devenait compréhensible.

Accroches-toi… tu allais apprendre un autre élément de son passé…

Autour du poignet, un léger ruban plastifié trônait, dans toute sa blancheur. Discret mais pourtant bien visible, il portait les inscriptions « HPC » pour Hôpital psychiatrique de Catane. En dessous de cet acronyme, on voyait un numéro de série et, écrit en tout petit : Deli. Psycho.
Ne croit en rien ces inscriptions… eux, là-bas, il ne savent rien. Ils n’ont fait que taire le problème, ils ne l’ont pas réglé. Quelques médocs et hop… tout va bien. Mais la vie n’est pas comme ça. Cela fait trois ans qu’elle n’a pas eu l’occasion d’aller courir dans l’herbe ou se laisser dorer au soleil.

Tu dois en profiter pour elle…